Vade-mecum reconversion des officiers (AEA 2014 ; màj Cap 2C et MARA 2015)

4. Points clés de la démarche

Regarder la réalité en face

Avant de se lancer dans la recherche d'un emploi civil, il faut d'abord se persuader qu'il s'agit d'un véritable "parcours du combattant" et qu'il n'est pas question de la bâcler au dernier moment ; cela demande du temps (environ 18 mois à 2 ans), une préparation psychologique et la mise en œuvre de techniques et d'outils qu'il faut connaître.

Le contexte économique décrit plus haut, fait que la compétition avec de nombreux cadres civils intervient de plus en plus pour les relèves à des postes jusqu'à présent cooptés entre officiers. Cela nécessite une analyse fine et un marketing intelligent pour identifier la meilleure technique à utiliser pour faire passer sa candidature.

Pour ce faire, un officier doit réaliser qu'il procède désormais seul, sans galons ni aide de l'appareil militaire et de son administration bien rodée, que la logistique sera réduite à sa plus simple expression, enfin que la créativité et la persévérance seront les seules armes qui lui feront obtenir des résultats. Toutefois, dans cette remise en question solitaire, tout n'est pas à mettre aux orties et il lui faudra bien garder ses repères, en les adaptant au fur et à mesure à l'univers du privé.

On dit souvent que passer du militaire au privé est comme changer de table de jeu avec les mêmes cartes mais sans connaître le nouveau jeu ni ses règles. L'armée est une institution dans laquelle tout est ordonné et régi par des règlements précis tandis que l'entreprise est un marché fait pour vendre ses produits et où seul le profit engendre la réussite individuelle. Cela est en général bien perçu par les officiers mais le plus difficile pour eux est de "se regarder soi-même comme un produit" afin de "se positionner" sur le bon segment du marché.

✔ Connaître son image

La façon dont un officier va apparaître aux yeux des civils qui le reçoivent pour un premier entretien est déterminante pour le succès de l'embauche ; elle tient à la superposition de deux images, celle qu'a le civil de l'armée en général (très fluctuantes avec entre autres la disparition du service militaire) et celle que renvoie l'officier à partir de ses attitudes et de ses réactions ("langage du corps"). L'image résultante va dépendre de la façon dont le comportement personnel éveille chez l'interlocuteur soit un côté négatif soit un côté positif de l'image d'Épinal qu'il s'est faite au sujet des militaires. Il faut donc bien connaître la façon dont "l'homo militari" est en général perçu dans la société civile.

Si l'on classe les plus et les moins :

Les plus : des qualités morales qui manquent de plus en plus en entreprise : honnêteté, rigueur, fiabilité, conscience professionnelle et sécurité, flexibilité, disponibilité, adaptabilité, autonomie et capacité à rendre compte, motivation par la fonction (plus que par l'argent), sens de l'organisation et sens du commandement, souvent surdimensionnés par rapport aux postes recherchés. Connaître ces appréciations permet de désamorcer l’a priori à la base de nombreuses questions que se pose un recruteur et de le rassurer par la façon dont on projette sa propre image ou dont on aborde ce sujet.

Les moins : difficulté à s'intégrer dans une organisation non matricielle où se mêlent relations hiérarchiques et fonctionnelles, rigidité intellectuelle et manque de souplesse dans les analyses, méconnaissance du langage et des règles du jeu de l'entreprise, difficultés à communiquer, à prendre des risques, à écouter les autres, à accepter l'humour, à séduire plutôt qu'imposer, réticence à sortir de l'hexagone et à parler une langue étrangère, plus motivés par le pouvoir que par l'argent, convaincus de leur supériorité intellectuelle et morale, montrent un complexe d'infériorité quant à leur niveau de connaissances techniques.

 --> Mais il faut aller plus loin et essayer de découvrir l'image que l'on donne de soi.

Tout d'abord bien repérer sa spécificité professionnelle et son niveau pour permettre à l'interlocuteur de mieux vous identifier dans le monde des officiers de même grade. En effet, les civils connaissent aujourd'hui mieux qu'hier les métiers de l'armée et les compétences des officiers. Ensuite, il faut essayer de voir quelle image on donne de soi aux interlocuteurs que l'on rencontre pour la première fois, ceci afin d'éviter d'être en décalage par rapport à sa propre perception. Ne pas hésiter à poser la question à son entourage et à des camarades officiers qui se sont reconvertis. Ayant fréquenté l'armée et le civil, ils ont acquis une vision biculturelle des comportements et sauront restituer une image probable.

✔ Anticiper au maximum

Le changement d'état de militaire à civil est une véritable opération d'envergure. Elle doit être préparée avec autant de soin que toutes les opérations militaires que l'officier a eu l'habitude de conduire avec méthode et rigueur. Comme il a été dit plus haut, le processus de reconversion est à entreprendre le plus en amont possible durant la carrière militaire, au plus tard dans les deux années qui précédent le départ. Peu d'officiers ont conscience de cette nécessité d'anticiper : la succession rapide des mutations à des postes exigeants n'offre généralement pas une disponibilité suffisante pour s'informer et réfléchir à la meilleure façon de procéder, non seulement si l'on veut partir plus tôt et réussir une deuxième carrière mais également si l'on désire continuer à travailler après la limite d'âge.

En effet la recherche d'un emploi civil est plus facile si l'on a eu des activités militaires qui sont "transposables" dans le secteur civil (c'est toute la difficulté de la lisibilité d'un C.V. militaire par un recruteur civil). Si l'on envisage un jour une reconversion, il faut le plus tôt possible, privilégier les carrières (par exemple DGA, Infra, Sirpa, Ambassades...) ou les affectations (suivi des budgets, suivi immobilier, négociation des marchés, achats de matériel…) qui permettent de renforcer ses connaissances techniques ou linguistiques, ou développer les contacts avec des entreprises françaises et étrangères, et ainsi se constituer un important réseau civil. La connaissance de l'international et l'usage des langues étrangères constituent des plus appréciés (l'anglais et une autre langue sont aujourd'hui indispensables dans les jobs commerciaux). Un diplôme supplémentaire du style école civile d'ingénieurs ou MBA renforce l'attrait d'un C.V. (il faut réagir avant 30 ans pour avoir une chance d'être autorisé à présenter un dossier d'admission).

Plus tard, il est encore possible de consacrer son temps libre (ou en dernier recours, le congé de reconversion), à une formation complémentaire adaptée au projet professionnel que l'on a en vue ; la liste de ces formations continues est disponible* dans les agences de Pole Emploi, l'APEC, les centres d'information et d'orientation (600 sur le territoire), les chambres consulaires (C.C.I, Chambres de métiers, syndicats professionnels affiliés au MEDEF) et certaines associations d’aide au retour à l’emploi (voir sur Internet). On peut aussi se renseigner au conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Ces quelques exemples illustrent la diversité des possibilités. On choisit l’une d’elles en prenant la formation qui correspond le mieux à ses aptitudes mais aussi à ses goûts et à ce que requiert le projet futur. L’acquisition d’une double compétence pour se mettre au même niveau que les seniors qui occupent des postes de managers est une plus value indéniable.

Prendre du recul par rapport au dispositif d'aide et se prendre en charge

Durant la phase active de préparation, les conseils et avis des différentes personnes que l'on consulte dans son entourage vont s'accumuler, tous différents, parfois même contradictoires ; il faut impérativement prendre du recul et se faire sa propre opinion sur chaque recommandation qui ne doit pas être appliquée à la lettre. Avant d'en faire une règle, la tester, vérifier le bon sens et l'adaptation à son cas personnel.

En effet, le monde civil et ses réactions ne sont pas de type binaire et il faut s'habituer à accepter le fait qu'une vérité est multiple. L'apprentissage de cette souplesse sera très utile dans les démarches professionnelles futures. Il en est ainsi pour la rédaction du C.V., le choix des secteurs d'entreprise qui peuvent correspondre à son expérience (donc le choix entre plusieurs projets professionnels), la préparation d'un entretien, la manière de se présenter, de négocier.

Réaliser l'inventaire sélectif de la carrière avant la définition du projet et la rédaction du C.V.

Se rappeler que la carrière d'un officier est atypique et assez souvent hermétique (même si les choses évoluent) pour une majorité de dirigeants civils. Ceux-ci ont donc besoin d'être rassurés sur les capacités de celui qu'ils recrutent, à s'insérer dans leur business.

A la lecture du C.V., le recruteur doit pouvoir comprendre facilement dans quels domaines se situent les compétences et en quoi consistaient vos activités ; pour l'y aider, deux nécessités : bannir les sigles et abréviations militaires. Attention si vous voulez les traduire en langage courant, pensez à faire valider cette traduction. faire une liste de ses responsabilités passées en caractérisant la finalité des missions et en recherchant des analogies avec les responsabilités et les activités civiles.  L'examen détaillé de cet inventaire permet de repérer "le noyau dur des compétences" ; conserver si besoin l'intitulé militaire des postes de commandement, car ils n'ont pas toujours d'équivalence dans le civil : les remplacer par des appellations civiles approximatives pourrait semer la confusion et rendra par ailleurs le C.V. illisible pour un recruteur s'il cherche un profil particulier d'officier.

Cet exercice qui consiste à disséquer sa carrière pour trouver les lignes de force d'un savoir-faire civil, nécessite d'avoir acquis préalablement une bonne connaissance du monde de l'entreprise et des différentes compétences demandées.
- pour les plus jeunes officiers qui ont une expérience récente de responsabilités d'emploi de matériels
fabriqués et entretenus par des civils, la transposition est plus simple ;
- par contre, pour les officiers supérieurs, et, a fortiori, les officiers généraux dont l'expérience récente consiste en commandements de grandes unités ou de directions d'état-major, l'exercice est plus délicat car l'identification de compétences transposables est compliquée par l'étendue des responsabilités qui n'a pas forcément toujours d'équivalent dans le civil. Il est nécessaire alors de procéder à un tri difficile, pour ne retenir finalement que les activités fonctionnelles dont le contenu est identique dans le civil : commandant en titre (direction générale), gestion administrative (secrétariat général), logistique (industrielle ou achats), communication, R.H, sécurité/sûreté, etc.

La dynamique de présentation du C.V. en réponse à une annonce

Il y a de multiples "ficelles" pour bien rédiger un C.V. Toutefois, il ne faut jamais perdre de vue que l'objectif est de donner envie au recruteur de recevoir son auteur ; il faut donc capter son attention dans les vingt premières lignes au maximum sur le recto du C.V., car au delà il aura "décroché" et ne lira plus qu'en diagonale ; le temps qu'il peut consacrer en moyenne par C.V. est de 40 secondes seulement ; d'où l'absolue nécessité de disposer dans ces vingt lignes (donc avec le ou les deux derniers postes), un ou deux exemples "parlants" de réalisations choisis à dessein pour apparaître dans le contexte de l'offre.

L'exemple de la vitrine, devant laquelle on passe pour chercher à acheter un objet précis, illustre bien cette exigence : on ne rentre dans le magasin pour questionner le commerçant que si parmi les objets exposés on voit un ou deux articles qui attirent suffisamment l'oeil sans que l'on sache encore exactement s'ils vont correspondre à sa recherche. Dans cette comparaison, le commerçant est le rédacteur du C.V. et le passant l'auteur de l'annonce qui cherche un profil de candidat.

L'objet de la lettre de candidature (motivation , accompagnement) est de retenir l'attention du lecteur.

Il s'agit de convaincre le recruteur de l'intérêt qu'il a à vous rencontrer et cela en quelques lignes. Inutile de vouloir tout dire.

Parmi ses compétences, choisir avec soin une ou deux d'entre elles qui soient en relation étroite avec le besoin supposé de l'entreprise (pour cela, bien se renseigner avant, par la lecture de la presse économique ou grâce à un camarade qui est dans le secteur). Ne retenir que les points forts de la carrière et citer un ou deux exemples de réalisations concrètes dont on est fier. Rester concis, court (un recto maxi) et factuel en enrichissant ce qui est déjà dans le C.V. (éviter absolument de répéter ce qui y est déjà).

Attention aux banalités ronflantes du genre "je vous apporterai rigueur et enthousiasme" ou "je suis motivé à l'idée de rejoindre une entreprise de renom". Dites plutôt "je sais que votre entreprise a besoin de collaborateurs capables de conduire et coordonner des projets d'envergure dans le domaine de..." ou "...de fédérer des équipes pluridisciplinaires autour d'une stratégie consistant à…" ou "...d'anticiper tel dysfonctionnement ".

Avant tout entretien, pistez l'info …

Bien préparer un entretien, c'est chercher à connaître à l'avance son interlocuteur pour anticiper ses préoccupations à votre sujet. La collecte d'info est un préalable indispensable au rendez-vous afin de poser les bonnes questions et de montrer sa motivation. Il faut rechercher les informations sur l'entreprise par les sources classiques (APEC, presse économique, le Kompass) ; consulter les sites de ces organismes et celui de l'entreprise s'il existe ; étudier le secteur d'activité et contacter le syndicat (la branche) professionnel(le) afin de connaître les difficultés du marché dans ce secteur, les concurrents, les enjeux ; essayer d'obtenir toute information liée au recrutement lui-même et à son contexte, les changements récents dans la chaine hiérarchique, etc. Enfin, il faut absolument identifier le nom et la fonction des personnes qui assisteront à l'entretien (cabinet de recrutement ? DRH ? Un opérationnel ? Le futur supérieur hiérarchique ?), ainsi que le lieu exact.

… et préparez-vous comme un acteur avant l'entrée en scène

Bien se dire que l'entretien est du style "trois minutes pour convaincre" car celui qui reçoit va obligatoirement, dans un délai très court, avoir une image stéréotypée du candidat ; si l'image est mauvaise (attitude fermée, figée, bloquée, fuyante ou froide, manque de curiosité ou avis "en dehors du sujet"), tout le reste de l'entretien sera compromis car il sera très difficile d'effacer cette première impression négative. Le reste des conseils peut se résumer par : être naturel, ouvert, attentif, montrer un bon esprit de synthèse (la façon de présenter sa carrière est révélatrice), de la curiosité sur le poste et prouver que l'on a réfléchi à ses exigences et aux difficultés qui sont posées (ce qui suppose d'avoir cherché au préalable toutes les informations utiles sur l'entreprise et son fonctionnement).

Dans toutes les démarches, il faut privilégier la recherche d'avis venant de personnes qui connaissent bien le milieu civil, et notamment les anciens camarades officiers qui se sont déjà reconvertis connaissent les deux mondes, militaire et civil. Ils peuvent vous parler des difficultés qu'ils ont rencontrées.

Qu'il s'agisse d'amis, de camarades ou de simples relations de travail, il est déconseillé de les contacter en leur demandant d'emblée s'ils n'ont pas un emploi à vous proposer ; certains risquent de se sentir gênés d'être impliqués aussi directement, d'autres risquent même de se sentir menacés dans leur propre emploi voire agressifs. L'approche doit être plus nuancée : leur demander un entretien afin d'avoir leur avis sur un projet et leur demander quelle personne de leur entourage professionnel pourrait être intéressée pour en parler.

Durant les recherches, les autres recommandations utiles :

- savoir se présenter brièvement (moins de 2 minutes) et exposer ses résultats de façon concrète et compréhensible par un civil (s’entraîner...),
- être toujours joignable les jours ouvrables. Se doter impérativement d'un téléphone portable et d’une adresse mail,
- avoir toujours avec soi des cartes de visite et quelques C.V. à remettre à l'occasion d'une rencontre fortuite,
-
tenir à jour le calendrier des recherches et organiser avec soin son propre secrétariat (dates d’envoi et copies des courriers),

- dresser régulièrement un bilan des démarches et mettre à jour un tableau de bord permettant le suivi de plusieurs pistes en parallèle,
- identifier dans son réseau les personnes qui peuvent jouer le rôle de relais vers la société cible,
-
noter les événements (salons, rencontres, invitations) où il faut se rendre absolument pour collecter le maximum d'informations sur les sociétés que l'on a ciblées, leurs besoins en recrutement et les noms des responsables à contacter pour une candidature spontanée,

- avant un entretien mettre tous les atouts de son côté : repérer les lieux et l'itinéraire, et savoir exactement qui participera à l'entretien (nom et fonction de chaque participant) ainsi que le lieu exact où se présenter
- durant l'entretien, se rappeler les trois messages à faire passer pour lutter contre la mauvaise image d'Épinal de l'officier :
     - je sais aller sur le terrain et m’y impliquer (plus le grade est élevé et plus on pense que l'officier reste sur son command-car),
     - j
e sais écouter et tenir compte de l'avis des autres (un officier a une réputation de raideur),
     - j
e sais m'intégrer dans un groupe de projet (un officier passe pour être perdu en dehors d'une organisation hiérarchisée)

- après un entretien, demander qui reprend le contact et à quelle date ; le lendemain, remercier par écrit en résumant les conclusions de l'entretien ; à la date prévue, relancer l'interlocuteur et le faire régulièrement tant qu’il n’a pas donné une réponse claire sur les suites données,
- ne jamais interrompre le contact avec une entreprise au profit d’une autre « plus prometteuse » tant que le contrat n’est pas signé. Il vaut mieux garder les contacts jusqu’à la fin de la période d’essai (3 à 6 mois selon le niveau du poste).

Attention,

si l'on répond à une offre d'emploi, il est très risqué de faire agir sans précaution une "relation" pour faire pression sur le recruteur ; cela peut fortement déplaire et compromettre définitivement les chances d'être retenu.